L’employeur qui manque à son obligation de protection du salarié victime de harcèlement sexuel met l’intéressé dans une situation le contraignant à accepter la rupture conventionnelle. Ce vice du consentement justifie l’annulation de la rupture, selon la Cour de cassation.
Une salariée, engagée en tant que vendeuse, informe son employeur de faits de harcèlement sexuel de la part de son supérieur hiérarchique, responsable de la boutique. Aucune mesure de prévention ou de protection n’est mise en œuvre à la suite de ce signalement. C’est dans ce contexte qu’une rupture conventionnelle est conclue.
La salariée saisit par la suite le conseil de prud’hommes d’une demande d’annulation de la rupture conventionnelle. Les juges du fond déclarent nulle la convention de rupture et condamnent l’employeur à indemniser son ancienne salariée. Celui-ci se pourvoit en cassation.
Un manquement de l’employeur à son obligation de prévention du harcèlement …
Au soutien de son pourvoi, l’employeur faisait valoir qu’il n’avait pas exercé de pression pour inciter la salariée à signer la rupture. Il s’appuyait ainsi sur la jurisprudence constante de la Cour de cassation en vertu de laquelle un différend entre employeur et salarié n’affecte pas en soi la validité de la rupture (Cass. soc. 23-5-2013 no 12-13.865 FS-PBR : RJS 7/13 no 534).
La Cour de cassation, se basant sur les faits constatés par les juges du fond, relève toutefois que la salariée s’était plainte de manière précise et circonstanciée de faits de harcèlement sexuel auprès de son employeur. Or l’employeur, en ne prenant aucune mesure de protection de l’intéressée à la suite de ce signalement, a exercé une forme de pression indirecte. La salariée s’est en effet retrouvée, selon les juges, dans une situation insupportable qui ne pouvait que s’aggraver si elle se poursuivait : le contexte l’a donc incitée à conclure la rupture conventionnelle.
A noter : L’employeur est tenu de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les actes de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner (C. trav. art. L 1153-5). Il est tenu à une obligation de sécurité de résultat (Cass. soc. 21-6-2006 no 05-43.914 FP-PBRI : RJS 8-9/06 no 916). Sa responsabilité au titre de cette obligation ne peut être écartée que s’il a mis en œuvre toutes les mesures de prévention prévues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail, notamment des actions d’information et de formation, et a mis fin au harcèlement dès qu’il en a été avisé (Cass. soc. 1-6-2016 no 14-19.702 FS-PBRI : RJS 8-9/16 no 567 ; Cass. soc. 5-10-2016 no 15-20.140 F-D : RJS 1/17 no 5). En l’espèce, en manquant à cette obligation, l’employeur a mis en danger la santé et la sécurité de la salariée.
… caractérisant une violence morale
Pour les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, dans la mesure où la poursuite de l’exécution du contrat de travail était susceptible de mettre en danger la salariée, cette dernière n’a pas eu d’autre choix que d’accepter la rupture. En d’autres termes, son consentement à la rupture n’était pas libre et éclairé. Les juges ont ainsi mis en évidence l’existence d’une violence morale de nature à vicier la rupture conventionnelle.
A noter : La solution ainsi retenue s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation. Selon la Cour, en effet, l’existence de faits de harcèlement n’affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture (à propos d’un harcèlement moral : Cass. soc. 23-1-2019 no 17-21.550 FS-PB : RJS 4/19 no 208). Il incombe au salarié de démontrer en quoi cette situation de harcèlement a vicié son consentement à la conclusion de la rupture conventionnelle (Cass. soc. 30-1-2013 no 11-22.332 FS-PBR : RJS 4/13 no 279 ; Cass. soc. 29-1-2020 no 18-24.296 F-D : RJS 4/20 no 175). Ici, ce n’est pas le contexte du harcèlement, en soi, qui vicie le consentement de la salariée, c’est la situation dans laquelle elle se trouve, qui résulte en particulier de l’absence de réaction de l’employeur au signalement du harcèlement.
La Cour de cassation valide ainsi la motivation de la cour d’appel qui, ayant mis en évidence l’existence d’un vice du consentement, a pu prononcer la nullité de la rupture conventionnelle.
A noter : En l’espèce, la cour d’appel a fait produire à la rupture les effets d’un licenciement nul. La salariée est donc fondée à obtenir sa réintégration ou une indemnité au moins égale à 6 mois de salaire au titre du caractère illicite du licenciement assortie des indemnités de rupture (voir déjà en ce sens Cass. soc. 29-1-2020 no 18-24.296 F-D : RJS 4/20 no 175). Dans la décision de 2020 et dans la présente affaire, la Cour de cassation n’était pas appelée à se prononcer sur les effets de l’annulation de la rupture conventionnelle, l’employeur n’ayant pas contesté cet élément. Cela étant, on peut penser que la sanction de la nullité a vocation à s’appliquer aux ruptures du contrat de travail résultant de faits de harcèlement moral ou sexuel (C. trav. art. L 1152-3 et L 1153-4). C’est cette sanction que les juges retiennent en cas de résiliation judiciaire du contrat ou de prise d’acte de la rupture prononcée aux torts de l’employeur en raison d’un harcèlement (Cass. soc. 20-2-2013 no 11-26.560 F-PB : RJS 5/13 no 344 ; Cass. soc. 28-3-2018 no 16-20.020 F-D : RJS 6/18 no 405). On voit mal pourquoi la Cour de cassation adopterait une position différente en cas d’annulation d’une rupture conventionnelle.
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