Comité de l’abus de droit fiscal dans sa séance du 15 novembre 2019 (Aff. n° 2019-42).
Et si on démembrait les parts de SCI à la création en dehors de toute acquisition ?
La valeur est dérisoire et comme il n’y a aucun flux à actualiser pour déterminer une valeur économique de l’usufruit, alors allons-y pour le barème fiscal. Par exemple si le capital est de 1 000 €, l’usufruit cédé à la société opérationnelle pour plus de dix ans vaut 460 €. Ce qui est déjà drôle, se dit-on, c’est que la société a acquis quelque chose qui ne vaut rien.
Et pourquoi donc ?
Parce que, quelque temps après, mais c’est le hasard, les S.C.I. acquerraient un immeuble. Suivez bien l’astuce ! Pour le financer, une augmentation du capital des S.C.I. fut décidée. La société usufruitière libéra la quote-part qui lui incombait dans cette opération en tant qu’usufruitière des parts des S.C.I. Mais pas bêtes, les nus-propriétaires s’abstinrent, eux, de verser la part qui leur revenait. Du même coup, les S.C.I. furent contraintes d’emprunter pour compléter le montant nécessaire au financement de l’immeuble accroissant d’autant au passage leurs propres charges financières.
L’emprunt fut alors contracté pour une durée égale à celle de l’usufruit.
On le sait, la cession de l’usufruit de parts de S.C.I. à une société opérationnelle soumise à l’IS oblige la S.C.I. soumise au régime des sociétés de personnes à déterminer son résultat selon les règles de l’IS. En application des dispositions de l’article 238 bis K du C.G.I., les S.C.I. furent par conséquent en mesure de déduire, non seulement les frais d’acquisition et les intérêts de l’emprunt contracté, mais également l’amortissement de l’immeuble dont elles étaient propriétaires. La belle affaire ! La société opérationnelle usufruitière recueillit de la sorte des déficits structurels pendant toute la période couverte par l’usufruit.
Juste une question : quel était l’intérêt économique de la société opérationnelle de participer à une telle opération ? Aucun. Ah pardon, on oublie l’avantage fiscal matérialisé par les déficits fiscaux structurels dégagés par les S.C.I. bailleresses des immeubles et remontant dans ses comptes.
Et que croyez vous que faisaient les nus-propriétaires pendant ce temps ? Ils se frottaient les mains. Non seulement ils n’étaient pas imposés sur les revenus fonciers générés par la location des immeubles, mais l’opération permettait de diminuer les résultats de la société opérationnelle dont ils étaient associés avec en plus, la cerise sur le gâteau : l’amortissement par cette dernière de l’usufruit des parts des S.C.I. même si celui-ci était évidemment de faible montant bien entendu.
Dans ce genre d’affaire mieux vaut bien en rire avant que l’administration n’intervienne. Confrontée à ce schéma, elle mit évidemment en œuvre l’abus de droit de l’article L. 64 du L.P.F. considérant que le but poursuivi était exclusivement fiscal. On note toutefois que ce seul élément n’eut pas suffit à valider un abus de droit. Encore fallait-il qu’elle administre la preuve d’une utilisation des textes à l’encontre des intérêts de leurs auteurs. Mais cela ne lui échappa pas. Elle estima précisément que le texte de l’article 238 bis K du C.G.I. avait fait l’objet d’une utilisation douteuse.
Que croyez-vous qu’il advint ?
Saisi de l’affaire, le Comité de l’abus de droit fiscal valida la position de l’administration. Pour lui, “les opérations de démembrement des parts et d’augmentation de capital des différentes SCI constituent, dans les circonstances de l’espèce, un montage artificiel, mis en place dans le seul but d’éviter l’imposition des revenus fonciers“.
La société opérationnelle “ne poursuivait ainsi à son niveau d’autre but que de lui permettre de déduire de son résultat les charges liées aux acquisitions temporaires d’usufruit et de pratiquer un amortissement de ces usufruits temporaires“. On se doute bien que l’intention du législateur de l’article 238 bis K du C.G.I. n’allait certainement pas dans ce sens.
Les deux éléments, objectif et subjectif, de l’abus de droit étaient par conséquent réunis ce que ne manqua pas de constater le comité. Vous devinez déjà la conséquence pour les nus-propriétaires : ils durent acquitter l’impôt sur le revenu à raison des revenus fonciers déterminés selon les règles propres à cette catégorie de revenus. Fini de rire, messieurs les nus-propriétaires, veuillez passer à la caisse du Trésor Public, elle vous attend à bras ouverts. Le tapis rouge fut même déployé à cette occasion.
Quelle leçon en tirer ?
C’est simple : dans ces opérations reposant sur le démembrement de parts de S.C.I., une seule chose importe : le respect de l’intérêt de l’entreprise opérationnelle usufruitière des parts. Hors de cette voie, souhaitons la bienvenue à l’administration !
Maintenant, il n’est pas inutile de prolonger la réflexion sur l’abus de droit, mais, cette fois, sur un autre plan. En effet, l’affaire soumise au comité portait sur des faits antérieurs à l’apparition de l’article 13-5 du C.G.I. dans l’arsenal de l’administration. Pour rappel, cet article prévoit que le prix de cession d’un usufruit doit être directement soumis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie dont dépend l’opération, donc dans les revenus fonciers en l’occurrence s’agissant d’une activité de location de locaux nus.
Or, comme on l’a vu, dans le schéma proposé à l’appréciation du comité, la valeur attribuée à l’usufruit des parts était dérisoire, au point qu’aucune évaluation économique n’était même possible à l’instant du démembrement. Les s.c.i. ne détenaient en effet aucun bien. Pour autant, une telle évaluation, même fondée sur l’article 669 du C.G.I. témoigne d’une analyse statique de la valorisation de l’usufruit. Or, par définition cette valorisation comporte un élément dynamique : on doit nécessairement actualiser un flux de revenus futurs.
Mais alors, dans une telle approche dynamique de l’usufruit, l’actualisation des revenus futurs ne devrait-elle pas prendre en compte le rendement futur de la SCI, et celui-ci sera nécessairement dépendant de celui de l’immeuble acquis peu de temps après la création de la société.
Ou alors il faudrait faire croire que les associés de la société opérationnelle ont créé cette S.C.I., comme ça, sans perspective d’avenir. Difficile à faire admettre surtout que cette société acquiert, peu de temps après, un immeuble destiné à la location au profit de la société opérationnelle détenue, comme par hasard encore, par les mêmes associés. Le montage paraît tout autant artificiel que dans l’affaire soumise au comité avant apparition de l’article 13-5 du C.G.I.
En supprimant tout rendement par le subterfuge consistant à céder l’usufruit des parts d’une S.C.I. sans aucune activité, mais tout de même pour une durée qui va être, comme par hasard une nouvelle fois, celle de l’emprunt contracté pour l’acquisition de l’immeuble destiné à la location, ne détourne-t-on par l’intention du législateur de l’article 13-5 du C.G.I. ? Celui-ci entend en effet que soit soumis à l’impôt sur le revenu en une seule fois les revenus futurs générés par le bien donné en location. En vérité, le législateur a pensé que, comme on actualise des rendements futurs, le cédant de l’usufruit ne faisait que recueillir ceux-ci en une seule fois lors de cette cession.
La pertinence d’une telle analyse est sans aucun doute contestable. Au moment de l’évaluation, on est en effet dans la conjecture. Qu’adviendra-t-il de l’immeuble, de sa location ? Nul ne le sait réellement. Beaucoup d’évènements peuvent en effet atteindre la société opérationnelle. Qui peut dire ce que seront les revenus effectifs de l’immeuble pendant la période couverte par l’usufruit ? Les conjonctures s’ajoutent les unes aux autres.
Pour autant, dura lex, sed lex. Et grâce à ce schéma, on évite toute imposition d’un prix de cession au sens ou l’entend le législateur, d’où l’idée d’une utilisation possible du texte de l’article 13-5 du C.G.I. contraire à ses intentions. Et comme le but poursuivi est alors exclusivement fiscal, et donc, a fortiori, principalement fiscal, craignons que l’abus de droit puisse être mis en œuvre pour soumettre le prix de cession même de l’usufruit à l’impôt sur le revenu entre les mains du cédant, mais un prix de cession fondé sur les rendements futurs des parts de la S.C.I. pendant la période couverte par l’usufruit. Attendons pour connaître la position du juge lorsque cette problématique lui sera soumise.
En tout cas, si l’on se rabat sur un montage qui conduit à l’apparition de déficits structurels comme c’était le cas dans l’affaire soumise au comité, l’abus de droit validé par le comité resterait d’actualité.
Maintenant, pour éviter d’être éventuellement contredite par la Comité de l’abus de droit fiscal puis par le Conseil d’Etat sur le terrain de l’abus de droit, l’administration peut toujours avoir recours à l’acte anormal de gestion. Et cette voie pourrait coûter encore beaucoup plus cher aux audacieux auteurs du montage reposant sur une sous-évaluation de l’usufruit. Une fois celle-ci démontrée au moyen d’une valorisation de l’usufruit fondée sur une actualisation des revenus futurs de la s.c.i., elle aurait beau jeu :
– de faire valoir une minoration de l’actif du bilan de la société opérationnelle usufruitière des parts au regard des dispositions de l’article 38-2 du C.G.I., minoration qu’elle soumettrait par conséquent à l’impôt sur les sociétés à son nom ;
– de considérer que le “cadeau” ainsi fait à cette société constitue une libéralité à son profit taxable au taux de 60 % parce que réalisée entre tierces personnes.
De la sorte, la société opérationnelle aurait-elle à sa charge l’impôt sur les sociétés et les droits de mutation à titre gratuit correspondant à la libéralité. Le tout bien entendu assorti de pénalités. Belle journée !
Faites donc le total avant de vous lancer dans de tels montages purement artificiels auxquels l’administration fait activement la chasse, avec la bénédiction du Comité de l’abus de droit fiscal et du Conseil d’Etat.
Comments