Aujourd’hui, les processus de levée de fonds sont bien connus, notamment grâce à la vague des opérations à effet de levier (LBO, MBO, MBI, etc.) depuis plusieurs décennies et au développement plus récent de l’écosystème start-up. Les réalités peuvent varier en fonction du stade de développement de l’entreprise, de sa situation, de son positionnement, du type d’opérations envisagées (majoritaire/minoritaire), etc. Il s’agit, pour l’actionnaire-dirigeant, de s’adresser aux acteurs les plus adaptés au montant levé et à la maturité de l’entreprise, à sa taille et à son secteur, ainsi qu'à ses perspectives de croissance et à son profil de rentabilité. Connaître les acteurs et leurs critères est indispensable pour réussir sa levée.
Clarifier le besoin
Au risque d’enfoncer une porte ouverte, il est important de rappeler qu’une levée de fonds n’est pas une fin en soi…
Au-delà des éventuels effets d’annonce (crédibilité apportée à une start-up ayant levé des dizaines de millions de dollars ou d’euros auprès d’un important fonds d’investissement américain, énième LBO par un acteur reconnu, etc.), lever des fonds sert d’abord un objectif stratégique pour l’entreprise et ses actionnaires-dirigeants : apporter des moyens financiers indispensables au développement de l’entreprise. Ce type d’opération vise à recomposer le capital pour permettre la sortie d’actionnaires historiques et d’en intégrer de nouveaux, ainsi qu'à ajouter d’éventuelles compétences d’accompagnement et des expériences permettant à l’entreprise de passer un cap. Il convient donc, dans un premier temps, de bien identifier le besoin à la fois dans ses montants et dans ses modalités qualitatives et quantitatives.
S'orienter vers les investisseurs pertinents
Différentes catégories d’investisseurs, chacun ayant sa propre thèse d’investissement
Les investisseurs étant très sollicités, il est indispensable de gagner du temps et de sélectionner ceux répondant aux besoins de l’entreprise. Être accompagné par un professionnel des cessions-acquisitions peut se révéler nécessaire pour s’y retrouver entre les acteurs du marché et leurs critères individuels et pour connaître leurs expériences et antécédents.
Les acteurs incluent, entre autres, certaines banques, les fonds généralistes ou spécialisés, les family offices, les fonds entrepreneuriaux, certains acteurs industriels, et des personnes physiques plus ou moins fortunées.
Parmi les fonds, leur champ d’action va souvent dépendre du stade de développement de l’entreprise (amorçage, accélération, capital-développement, capital-transmission, voire retournement), de la taille de l’entreprise et/ou du ticket investi ainsi que de l’activité et du positionnement de l’entreprise. Chaque acteur possède sa propre thèse d’investissement, à laquelle l’entreprise doit répondre. Ensuite, au cas par cas, telle entité ou tel interlocuteur regardera d’un œil plus ou moins positif l’opportunité, en fonction des dénouements qu’il ou elle a pu vivre sur des sociétés en portefeuille ou dossiers qu’elle ou il a réussi à gagner ou perdre.
La « thèse d’investissement » peut être définie comme un plan qui permet à tout un chacun (lecteurs, start-ups, autres fonds d’investissement, leveurs de fonds…) de connaître la typologie d'investissement du fonds d’investissement concerné. Elle permet en quelque sorte de déterminer l'identité d'un fonds, ses souhaits d'investissement et sa nature profonde.
Bien choisir les acteurs du financement en fonction du stade de développement de l’entité
Le schéma suivant rappelle, à toutes fins utiles, les typologies d’acteurs en fonction du stade de développement de l’entreprise.
Identifier et mettre en avant les atouts de l’entreprise
Les investisseurs attendent un retour sur investissement. Ce retour dépend principalement :
-de la capacité de l’entreprise à remonter des dividendes, ou pas, sur la période d’investissement, et ce, après remboursement des dettes existantes ou levées dans le cadre de l’opération, tout en préservant la pérennité de l’entreprise ;
-du potentiel de valorisation de la société qui, par son accélération commerciale, l’amélioration de ses méthodes de gestion, la mise en œuvre d’une stratégie de croissance ambitieuse y compris externe, et/ou l’amélioration de la rentabilité, pourra faire une nouvelle opération de levée ou être revendue à un industriel à un multiple de la valeur de référence.
S’agissant du potentiel de valorisation de la société, dans le cas d’une entreprise établie, il se traduira par l’amélioration des multiples appliqués et/ou des soldes intermédiaires de gestion (SIG) retenus, grâce à l’amélioration du profil et des perspectives opérationnelles de l’entreprise. Dans le cas d’une start-up, cela correspondra au passage de certains caps spécifiques de développement et/ou de conquêtes commerciales de marché.
Il s’agit pour l’entreprise de se différencier sur son marché et d’exécuter de façon optimale cette différenciation grâce à la qualité de son management et de ses équipes. Mettre en avant ses atouts et pallier les éventuels points d’amélioration est indispensable. Les investisseurs ne manqueront pas de faire remonter les enjeux du dossier et les zones de risque. Les avoir adressés en amont apportera de la crédibilité. À ce titre, montrer quelques « quick wins » (petites modifications qui permettent d’obtenir en peu de temps une amélioration financière, ou marketing) ou les atteindre rapidement est un plus.
Présenter les chiffres pertinents et convaincants
Un autre point essentiel dans le processus de financement par levée de fonds est de présenter des chiffres à la fois pertinents et surtout convaincants pour les investisseurs.
Ceux-ci scruteront :
-le profil de croissance de l’entité : évolution du chiffre d’affaires et de ses composantes ;
-le profil de rentabilité : évolution de l’excédent brut d’exploitation (EBE), du résultat d’exploitation (RE) et du résultat net (RN), ainsi que des principales charges y conduisant ; -les investissements nécessaires ;
-l’évolution de la trésorerie (via le tableau de trésorerie) ;
-l’équilibre de l’ensemble (grâce au tableau des emplois/ressources) ;
-la valorisation de référence proposée (ou retenue) et le retour sur investissement qui en découle.
La notion de normatif (ou éléments financiers ajustés
)La notion de normatif devient importante dans certaines situations, où il est judicieux de présenter des chiffres ajustés différents des états financiers comptables.
À titre d’exemples :
• Certains événements de la vie courante d’une entreprise, tels qu’un déménagement, ont pu impacter sa vie et détériorer à court terme ses résultats sans les remettre en cause à plus long terme. Certaines charges ont pu ou vont être passées en exceptionnel. D’autres perturbations plus organisationnelles ont pu impacter la rentabilité, sans être clairement identifiées comme exceptionnelles dans les comptes.
• Une entreprise visée par un rachat peut avoir des coûts de structure élevés par choix des actionnaires-dirigeants, coûts qui dans un autre contexte pourraient être sensiblement réduits. Se dégage une marge de manœuvre dont peut bénéficier l’entreprise dans une nouvelle phase de développement ou dans le cadre d’un montage à effet de levier avec un management différent (LBO, MBO ou MBI / reprise par exemple).
• Dans certains secteurs innovants, le recours à certains dispositifs et leur traitement comptable peuvent fausser en première lecture rapide la rentabilité intrinsèque de l’entreprise considérée [crédit d’impôt recherche (CIR) ou du crédit d’impôt innovation (CII) pour certaines entreprises du numérique (CGI art. 244 quater B), par exemple].
Il convient de présenter de façon précise chaque ajustement proposé, ses raisons et s’assurer qu’elles sont crédibles.
Négocier l’équilibre des pouvoirs
Prendre en compte les enjeux de dilution du capital
Tôt ou tard se pose la question de l’équilibre entre besoin de financement, valorisation de référence et pourcentage obtenu par le ou les investisseurs.
Le sujet de la dilution peut être particulièrement sensible pour certains actionnaires-dirigeants. Tout dépend de leur envie d’accepter de partager, voire céder le contrôle de leur entreprise au profit de moyens accrus. Davantage de capital peut permettre d’aller plus loin et plus vite à la fois par le cash apporté en direct par les investisseurs et par l’effet de levier potentiel (dette additionnelle).
Il convient également, pour certains actionnaires-dirigeants, d’accepter un autre état d’esprit, voire de ressentir une forme de « pression » en fonction du profil des investisseurs, et d’en assumer les conséquences selon l’atteinte ou pas des objectifs.
Être attentif aux autres clauses
Au-delà du pourcentage obtenu par les investisseurs, deux points doivent être négociés avec attention :
-les règles de gouvernance, et notamment les exigences de certains investisseurs en termes de reporting et leur implication dans certaines décisions ;
-le management package, et notamment les rémunérations, primes, et autres avantages des dirigeants, le partage de la valeur permettant de bénéficier d’une partie de la plus-value de sortie si les objectifs sont atteints, et les clauses en tous genres en cas de divergences ou d’accidents de parcours (bad leaver, par exemple, voir nos précisions ci-après).
Pour rappel, le terme « management package » fait référence à l’ensemble des instruments financiers et juridiques qui permettent d’intéresser au capital de l’entité les dirigeants (ou les managers et les cadres supérieurs) et leur permettre d’obtenir à des conditions préférentielles (en complément d’autres avantages plus classiques tels que voiture de fonctions, rémunération variable, bonus…) des gains financiers directement indexés sur la performance de l’entité ou sur le rendement des investisseurs.
Une clause de bad leaver (ou de good leaver) peut être insérée dans les statuts de l’entité ou, plus généralement, prévus lors de la rédaction du pacte d’associés. La clause de bad (ou de good) leaver est, en principe, exigée par les investisseurs et permet de maintenir les hommes clés au sein de la société pendant une certaine durée. En vertu de la clause de bad leaver, l’associé sortant avant la date prévue de départ est considéré comme un « mauvais partant » et donc sanctionné.
Dans une société, en application de la clause de bad leaver, les parts sociales de l’associé sortant avant la date prévue de départ sont rachetées par les autres associés avec une décote.
En France, les clauses de bad ou good leaver sont en principe considérées comme des promesses unilatérales de vente d’actions (c. civ. art. 1124).
Rester vigilant sur le timing
Tenir compte de la durée du processus de levée de fonds
Les processus de levée de fonds prenant souvent plusieurs mois (entre les prises de contact, l’audit, les négociations et le closing), il s’agit, en tant qu’actionnaire-dirigeant, d’anticiper le besoin de financement en capital afin d’éviter soit une situation critique, soit des opportunités manquées, ou d’avoir à retarder la mise en œuvre du plan de développement.
Anticiper les sorties d’investisseurs
Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que toute entrée d’investisseurs s’inscrit dans une logique de sortie. Certains peuvent avoir des horizons de sortie courts (à 3 ans par exemple), d’autres s’inscrire dans des logiques à plus long terme. Il est essentiel, entre investisseurs et actionnaires-dirigeants, de s’aligner sur l’horizon de sortie et sur les modalités de sortie prévues (clause de sortie, typologies d’opérations, etc.).
Tous ces éléments vont se traduire par le pacte d’actionnaires négocié entre investisseurs et actionnaires-dirigeants, auquel il convient d’accorder le plus grand soin à la fois dans ses aspects business, organisationnels et juridiques.
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