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  • Photo du rédacteurDavid Sanglier

CVAE et cession d’immobilisations : résultat courant ou résultat exceptionnel ?

Confirmant l’importance du modèle économique pour distinguer les résultats courant et exceptionnel, deux décisions du Conseil d’État précisent le classement des plus-values de cession d’immeubles. Cette conception fiscale du résultat exceptionnel n’est pas sans créer des divergences fiscalo-comptables.


L'ESSENTIEL


D’un point de vue fiscal, pour le calcul de la valeur ajoutée qui détermine l’assiette de la CVAE, seuls certains éléments du résultat courant sont retenus, à l’exclusion des éléments du résultat exceptionnel. Pour ce calcul, les plus et moins-values de cession d’immobilisations sont considérées comme relevant du résultat courant lorsque l’activité courante de la société le justifie, quel que soit le classement retenu sur le plan comptable.


Comptablement, il existe aujourd’hui plusieurs conceptions du résultat exceptionnel. Selon une conception étendue fondée sur la liste des comptes du PCG, toutes les cessions d’immobilisations sont classées en résultat exceptionnel. En revanche, selon une conception plus restrictive fondée sur l’analyse des opérations, la doctrine permet de classer les cessions en résultat courant lorsque l’activité courante de la société le justifie, rejoignant alors la conception fiscale. C’est cette deuxième conception qui est retenue dans le projet de définition du résultat exceptionnel en cours à l’ANC.


Fiscalement, les cessions relèvent du résultat courant lorsque le modèle d’affaires le justifie. C’est le cas, par exemple, de celui des sociétés de location de matériels, qui est fondé sur la rentabilisation de leur activité de location grâce à la plus-value qu’elles réalisent lors de la revente du matériel sur le marché de l’occasion. Deux affaires récentes rendues à propos de transactions effectuées par des sociétés foncières ont donné l’occasion au Conseil d’État d’apporter des précisions sur les conditions dans lesquelles des cessions d’immobilisations peuvent être regardées comme faisant partie du modèle économique de l’entreprise.


En revanche, comptablement, lorsque l’entreprise applique la conception restrictive du résultat exceptionnel, le classement en résultat courant n’est pas uniquement lié au modèle économique de l’entreprise. Ainsi, les plus et moins-values de cession d’immobilisations, notamment lorsqu’elles apparaissent récurrentes, seraient classées en résultat courant bien que ne relevant pas du modèle d’affaires de la société. Il en est ainsi également du projet de définition du résultat exceptionnel de l’ANC.


L’actuelle conception fiscale du résultat exceptionnel n’est donc pas sans créer des divergences fiscalo-comptables.


Comptablement, plusieurs interprétations du résultat exceptionnel sont aujourd’hui possibles


Le Code de commerce ne donne qu’une courte définition du résultat exceptionnel : « celui dont la réalisation n’est pas liée à l’exploitation courante de l’entreprise » (C. com. art. R 123-192). Le PCG ne fournit pas plus de précision et se limite à indiquer, dans la liste du plan de comptes, un certain nombre de natures de produits et charges exceptionnels (résultats de cession des immobilisations, pénalités sur marché, malis/bonis provenant de clauses d’indexation…).


Selon une première conception fondée sur la nature des charges et produits, les cessions sont systématiquement exceptionnelles


En pratique, certains retiennent cette liste de comptes du PCG pour classer systématiquement toutes leurs cessions d’immobilisations en résultat exceptionnel.


Selon une seconde conception fondée sur l’analyse de l’opération, certaines cessions sont courantes


D’autres, au contraire, choisissent d’adopter une méthode de classement fondée non pas sur la nature des charges et produits, mais sur l’analyse de l’opération ayant fait naître ce produit ou cette charge. Ainsi, certains retiennent la doctrine de la CNCC qui permet le classement en résultat courant (comptes 658 et 758) de certaines cessions de matériels immobilisés lorsque l’activité courante de la société le justifie, par exemple, celle des sociétés de location dont le modèle d’affaires est fondé sur la rentabilisation de leur activité de location grâce à la plus-value qu’elles réalisent sur la revente du matériel sur le marché de l’occasion (Bull. CNCC no 166, juin 2012, EC 2012-09, p. 403 s.).


Cette seconde méthode est néanmoins source d’interprétations diverses et amène à une conception plus ou moins étendue du résultat exceptionnel selon les entreprises.


Ainsi, certaines retiennent les critères d’analyse proposés par la recommandation de l’ANC no 2020-01 du 6 mars 2020 (relative au format des comptes consolidés établis en normes IFRS) et classent en résultat exceptionnel les produits et charges peu nombreux, inhabituels, significatifs, anormaux et peu fréquents issus d’un événement majeur de nature à fausser la lecture de la performance de l’entreprise. L’objectif est, en pratique, de ne pas créer de divergence entre le résultat exceptionnel dans les comptes sociaux et les « Autres produits et charges opérationnels » dans les comptes consolidés.


Selon cette interprétation, devraient rester classées en exceptionnel, à notre avis, uniquement les cessions :

  • d’immobilisations d’exploitation incorporelles et corporelles en cas de cause exceptionnelle telle qu’une expropriation, une cession ou une cessation de branches ou de secteurs d’activité ;

  • d’immobilisations financières (sauf s’il s’agit de l’activité régulière de l’entreprise).

D’autres retiennent les critères d’analyse d’une ancienne étude du CNC de juin 1989 (document no 77 relatif à l’évolution de la comptabilité et à son utilisation comme moyen d’information de l’entreprise) sur laquelle se base la CNCC pour élaborer sa doctrine et classent en résultat exceptionnel les produits et charges nés de causes extraordinaires indépendantes de l’exploitation ou de l’activité dont l’entreprise n’a pas la maîtrise ou résultant d’un changement de stratégie ou encore faisant suite à des changements de législation.


Selon ces critères, les pertes et indemnisations d’immobilisations d’exploitation incorporelles et corporelles en cas de sinistres, catastrophes naturelles et autres perturbations entraînées par des événements extérieurs dont l’entreprise n’a pas la maîtrise devraient également pouvoir rester classées en résultat exceptionnel.


Demain, l’ANC devrait publier une nouvelle définition plus restrictive encore du résultat exceptionnel


Dans son projet de règlement publié le 24 juillet dernier relatif à la modernisation des états financiers et de la nomenclature, l’ANC propose une définition restrictive du résultat exceptionnel (voir FRC 10/20 inf. 1). Ce projet prévoit ainsi :

  • de définir les éléments exceptionnels comme des produits et des charges directement liés à un événement majeur et inhabituel (c’est-à-dire, en général, qui ne s’est pas produit au cours des derniers exercices et qui ne se reproduira probablement pas) ;

  • et de limiter les éléments inscrits par nature en résultat exceptionnel aux seuls enregistrements liés à des opérations fiscales (amortissements dérogatoires et de provisions réglementées), aux charges et produits sur exercices antérieurs (uniquement en cours d’exercice) ou aux changements de méthode et corrections d’erreurs.

Selon le projet de texte de l’ANC, les cessions d’immobilisations ne seraient donc pas comptabilisées systématiquement en résultat exceptionnel.


Comme c’est déjà le cas avec l’actuelle conception restrictive du résultat exceptionnel fondée sur l’analyse des opérations, les éléments de résultat qui traduisent le modèle économique de l’entreprise ne seront plus comptabilisés en résultat exceptionnel.


Mais le classement en résultat courant ou exceptionnel n’est pas uniquement lié au modèle économique de l’entreprise. Ainsi, selon l’ANC (Consultation ANC précitée, exemples illustratifs 1 et 2) :

  • lorsqu’une entité cède l’une de ses immobilisations corporelles, le résultat de cette cession serait inscrit en résultat d’exploitation, car elle n’est pas liée à un événement majeur et inhabituel et, à ce titre, ne correspond pas au projet de définition du résultat exceptionnel ;

  • Quelques questions se posent néanmoins. Doit-on en déduire que les pertes ou cessions d’immobilisations suivantes seraient à classer en résultat courant, alors même qu’elles ne sont pas récurrentes et ne font pas partie du modèle d’affaires de l’entité :

    1. – la perte d’une immobilisation (et son indemnisation) liée à un sinistre ou tout autre événement hors du contrôle de l’entreprise ?

    2. – la perte d’un actif financier détourné (fraude) ?

    3. – la cession d’une immobilisation pour des besoins de financement (lease-back) ?

  • lorsqu’une entité cède une ligne de production et un ensemble d’immobilisations incorporelles d’une branche d’activité dont elle se désengage, l’entité considère que ce désengagement d’une branche d’activité remplit les conditions d’un événement exceptionnel. Le résultat de ces cessions serait inscrit en résultat exceptionnel, car elles sont liées à un événement majeur et inhabituel et, à ce titre, correspondent au projet de définition du résultat exceptionnel.

Sur ce point, rien ne devrait donc changer par rapport aux pratiques actuelles. Toutefois, quelques questions se posent :

  • comment définir la notion d’activité cédée ou abandonnée ? La fermeture d’un site parmi plusieurs dans la même activité pourrait-elle être considérée comme exceptionnelle ?

  • l’abandon/cession d’une activité peut-il être considéré comme un changement de stratégie aux bornes des comptes sociaux de la société et pas des comptes consolidés du groupe ?

  • les effets de l’abandon/cession d’une activité peuvent-ils s’étendre sur plusieurs exercices sans être requalifiés d’éléments d’exploitation ?

Fiscalement, les décisions comptables sont par principe retenues pour définir la valeur ajoutée fiscale


L’article 1586 sexies I du CGI fixe les termes à retenir pour le calcul de la valeur ajoutée qui détermine l’assiette de la CVAE, et prévoit notamment l’exclusion des charges et produits qui ne relèvent pas de l’activité courante de l’entreprise. L’administration a indiqué que le calcul de la valeur ajoutée doit s’appuyer sur les montants inscrits en comptabilité dans les comptes correspondants aux postes énumérés (BOI-CVAE-BASE-20 nos 1 s.).


Ayant adopté par principe la même position (CE 4-8-2006 no 267150), la jurisprudence estime néanmoins qu’une appréciation peut être portée sur la pertinence du rattachement comptable opéré par l’entreprise (CE 6-12-2017 no 401533). En particulier, en l’absence de règle impérative fixée par le PCG, le juge se reconnaît fondé à apprécier quel est le classement comptable le plus adéquat compte tenu des normes comptables applicables (CE 30-12-2015 no 366716).


Ainsi, par exemple, les sociétés de location qui appliquent la conception extensive du résultat exceptionnel fondée sur la liste des comptes du PCG et classent les plus et moins-values de cession de matériels immobilisés en résultat exceptionnel, sans effectuer des retraitements pour le calcul de la valeur ajoutée, s’exposent au risque que le juge requalifie ces éléments de résultat se rapportant à des opérations normales et courantes.


…Mais la jurisprudence récente fait prévaloir le modèle économique pour définir le résultat exceptionnel


Le critère de la récurrence n’est pas suffisant


Plusieurs décisions du Conseil d’État ont précisé et ont fait évoluer les critères de la distinction entre le résultat courant et le résultat exceptionnel.


Appelé à se prononcer à propos des dons et dépenses de mécénat, le Conseil d’État a jugé que la circonstance que ces opérations relevaient de l’activité habituelle et courante de l’entreprise en raison notamment de leur récurrence justifiait leur classement dans le résultat courant (CE plén. 9-5-2018 no 388209 : voir FRC 8-9/18 inf. 3).


S’agissant des produits de cession d’immobilisations, ce critère de la récurrence a également été utilisé pour qualifier leur nature (CE 1-7-2009 no 298513) mais il a été combiné, dans les décisions les plus récentes, avec une approche fondée sur le modèle économique de l’entreprise. Des opérations récurrentes et constitutives d’un élément du modèle économique de l’entreprise sont considérées comme relevant du résultat courant (CE 6-12-2017 no 401533), mais le critère de la récurrence n’est par lui-même pas suffisant pour considérer comme courantes des opérations dont il n’est pas établi qu’elles font partie du modèle économique (CE 10-7-2019 no 412968, décision rendue à propos d’une contribution additionnelle à l’IS et transposable, à notre avis, à la CVAE).


Ainsi, il a été jugé que des cessions récurrentes d’immeubles réalisées par une société administrant et gérant des immeubles pour un fonds d’investissement, dans une stratégie d’allègement de son patrimoine immobilier français, ne s’inscrivent pas dans son modèle économique et constituent donc un résultat exceptionnel.


A noter


D’un point de vue comptable, cette solution devrait, à notre avis, être compatible avec l’actuelle conception restrictive du résultat exceptionnel ainsi qu’avec le projet de définition de l’ANC. En effet, elles ne résultent pas du modèle d’affaires de ces foncières, mais surtout, elles procèdent d’un désengagement d’une branche d’activité, événement remplissant les conditions d’un événement « majeur et inhabituel » (Consultation ANC sur le projet de règlement relatif à la modernisation des états financiers, exemple illustratif 2 ; voir ci-avant).


Les critères concrets à retenir pour établir le modèle économique ont été précisés par le Conseil d’État


Deux affaires récentes (CE 25-9-2020 nos 433942 et 436049) ont donné l’occasion au Conseil d’État d’apporter des précisions sur les conditions dans lesquelles des transactions peuvent être regardées comme faisant partie du modèle économique de l’entreprise.


Les litiges concernaient des sociétés foncières qui avaient réalisé des cessions significatives d’actifs immobiliers à la suite de la crise financière des années 2008-2009 en vue de se désendetter, et de se désengager d’actifs non stratégiques. Alors que l’administration considérait qu’elles relevaient du résultat courant dans la mesure où, selon elle, ces cessions faisaient partie du cycle d’exploitation des sociétés, le Conseil d’État estime au contraire que ces opérations ne s’inscrivaient pas dans leur modèle économique. Elles n’auraient pu être regardées comme faisant partie du modèle économique des cédantes que s’il avait été établi que :

  • la cession des immeubles est systématique après une période de mise en location ;

  • cette rotation procède d’une stratégie de maintien de la rentabilité des actifs de la société ;

  • ou encore que les gains de cession représentent une part structurelle des recettes de la société.

Soulignons que le Conseil d’État ne se prononce pas sur le point de savoir si ces critères sont cumulatifs ou non.


A noter


D’un point de vue comptable, de telles cessions sont, à notre avis, à classer en résultat d’exploitation selon l’actuelle conception restrictive du résultat exceptionnel et selon le projet de définition de l’ANC. En effet, ces cessions, même si elles ne résultent pas du modèle d’affaires de ces foncières, sont récurrentes et ne résultent pas d’un événement inhabituel (de nature à fausser la lecture de la performance).


Les divergences fiscalo-comptables actuelles perdureront-elles ?


Compte tenu des dernières précisions apportées par le Conseil d’État sur la définition du résultat exceptionnel, il existe déjà des divergences avec l’actuelle conception restrictive du résultat exceptionnel en comptabilité. Ces divergences risquent de s’accentuer avec la mise en œuvre du projet de règlement de l’ANC.


Il est toutefois à espérer que la jurisprudence acceptera que les entreprises prennent en considération cette évolution des normes comptables pour identifier les opérations à rattacher au résultat exceptionnel pour l’assiette de la CVAE.

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