Quasi-usufruit et cession d’entreprise : comprendre les nouveaux enjeux fiscaux des donations avant cession
- David Sanglier
- 2 avr.
- 5 min de lecture
La loi de finances 2024 a profondément modifié la fiscalité de la transmission d’entreprise, notamment en remettant en cause l’un des montages patrimoniaux les plus utilisés : le quasi-usufruit sur le prix de cession dans le cadre d’une donation avant cession.
Longtemps perçu comme un outil de transmission optimisé, ce mécanisme voit aujourd’hui sa pertinence remise en question.
Cet article décrypte les impacts concrets de cette réforme, les pièges à éviter, les alternatives crédibles et les bonnes pratiques à adopter.
🔎 1. Qu’est-ce que le quasi-usufruit et pourquoi était-il si prisé ?
Le quasi-usufruit est une déclinaison de l’usufruit portant sur des biens dits "consomptibles par usage", comme l’argent. L’usufruitier peut disposer librement des sommes, à condition de restituer une valeur équivalente à l’extinction de l’usufruit (souvent au décès).
Ce mécanisme est devenu un pilier des stratégies de donation avant cession, très utilisées pour transmettre le patrimoine entrepreneurial :
Le chef d’entreprise donne la nue-propriété des titres de sa société à ses enfants.
Il conserve l’usufruit, et donc la perception des dividendes.
Une cession intervient ensuite. Le prix de vente revient à l’usufruitier via un quasi-usufruit.
À son décès, les enfants bénéficient d’une créance de restitution déductible de l’actif successoral.
👉 Avantage principal : le donateur garde la main sur le capital et les liquidités, tout en allégeant la future fiscalité successorale.
📉 2. Ce que change l’article 774 bis du CGI : fin de la déductibilité dans certains cas
La loi de finances 2024 introduit l’article 774 bis du Code général des impôts, restreignant drastiquement le cadre fiscal favorable du quasi-usufruit.
🚫 Principe majeur : la créance de restitution n’est plus déductible
Dorénavant, si la créance de restitution résulte d’une donation portant sur une somme d’argent assortie d’un quasi-usufruit, elle n’est plus déductible de l’actif successoral du donateur.
Cela remet en cause des pratiques de longue date, même pour des opérations anciennes.
⚠️ 3. Risques fiscaux accrus et redressements à anticiper
L’administration fiscale dispose désormais d’un outil juridique clair pour contester les montages où le donateur se dessaisit en apparence mais conserve l’usage du produit de la cession.
🛑 Focus sur la notion d'abus de droit
Les montages impliquant des donations suivies très rapidement d’une cession risquent d’être qualifiés d’abus de droit fiscal, notamment s’ils sont jugés artificiels ou uniquement motivés par l’économie d’impôt.
🧨 Risques en cascade :
Rejet de la déductibilité de la créance de restitution.
Réintégration du prix de cession dans l’actif successoral.
Application de pénalités de 40 % (abus de droit), voire 80 % en cas de manœuvres frauduleuses.
🧭 4. Comment adapter vos stratégies patrimoniales : recommandations concrètes
✅ A. Allonger le délai entre donation et cession
Un délai trop court entre les deux opérations est un signal d’alerte pour l’administration.Idéalement : prévoir au moins 1 an entre la donation et la cession.
✅ B. Justifier économiquement la donation
Les motivations doivent être patrimoniales et familiales.
Il est essentiel de montrer que la donation ne vise pas uniquement à réduire l’assiette fiscale. Exemples :
Anticipation successorale.
Volonté de faire entrer les enfants dans la gestion du patrimoine.
Rééquilibrage familial.
✅ C. Revoir les clauses des actes juridiques
Chaque clause doit être soigneusement rédigée, notamment celles relatives :
à l’affectation du prix de vente,
à la créance de restitution,
à la chronologie des opérations.
✅ D. Réaliser un audit des donations passées
Les donations antérieures à 2024 peuvent elles aussi être impactées.
Il convient de les repasser en revue, d’évaluer les risques et, le cas échéant, de documenter la sincérité de l’opération a posteriori.
🧩 5. Alternatives au quasi-usufruit : quelles solutions privilégier ?
La fin de l’avantage fiscal du quasi-usufruit sur le prix de cession n’implique pas l’arrêt de la transmission anticipée. Voici plusieurs options solides.
🔄 A. Donation en pleine propriété après cession
C’est le schéma le plus "clean" fiscalement :
Le dirigeant cède d’abord ses titres.
Il donne ensuite une partie du prix ou des actifs acquis avec ce prix.
Pas de quasi-usufruit : la donation est tangible, traçable, incontestable.
📜 B. Pacte Dutreil
Le Pacte Dutreil permet d’alléger les droits de donation ou de succession de 75 % sur les titres de société transmis, à condition de respecter certains engagements (durée, activité, fonction de direction).
➡️ Alternative puissante au quasi-usufruit, souvent plus simple à défendre en cas de contrôle.
⏳ C. Donation temporaire d’usufruit
Utile pour transmettre temporairement les revenus d’un actif (dividendes, loyers, etc.), sans céder la nue-propriété.
Avantages :
Réduction de l’IFI.
Limitation de la pression fiscale pour les parents.
Transmission progressive.
🧠 6. Zoom sur la fiscalité successorale : un enjeu à réévaluer
Avec l’impossibilité de déduire la créance de restitution dans certains cas, l’actif successoral imposable est mécaniquement plus élevé.
🧮 Impact : simulation simplifiée
Avant réforme : Prix de cession = 1 000 000 €. Créance de restitution déductible = 1 000 000 €→ Actif net imposable : 0 €
Après réforme (774 bis) : Créance non déductible→ Actif net imposable : 1 000 000 €→ Droits de succession potentiels : > 300 000 € selon barème
👉 D’où l’intérêt de recalibrer dès maintenant les stratégies de transmission.
⚙️ 7. Aspects pratiques : rédaction, enregistrement, preuve
✍️ A. Importance de l’acte à date certaine
Pour qu’une créance soit recevable en déduction (hors 774 bis), il faut qu’elle soit précise, datée, formalisée avant le décès.
Idéalement : acte notarié ou enregistré.
📑 B. Clauses spécifiques à inclure
Clause de stipulation du quasi-usufruit.
Clause de reconnaissance de dette.
Modalités de remboursement (avec ou sans intérêts).
Justification de la valeur.
🧾 C. Enregistrement auprès de l’administration
Toute opération patrimoniale doit être enregistrée dans les règles pour avoir force probante. Cela permet d’écarter la présomption de fictivité.
🔐 8. Transmission d’entreprise et régimes matrimoniaux : attention aux effets croisés
Les montages en quasi-usufruit peuvent avoir des conséquences inattendues sur la répartition du patrimoine dans le cadre du régime matrimonial.
💍 Points à surveiller :
En cas de communauté, qui est propriétaire des fonds issus de la cession ?
La créance de restitution pèse-t-elle sur l’actif successoral ou sur la masse communautaire ?
La donation avant cession respecte-t-elle les droits du conjoint survivant ?
Un audit matrimonial en parallèle des opérations patrimoniales est fortement recommandé.
🏘️ 9. Et dans le cadre d’une SCI ? Quasi-usufruit et immobilier
Le mécanisme du quasi-usufruit s’applique aussi en matière immobilière, notamment via les SCI familiales.
⚠️ À noter :
La requalification fiscale est possible si les clauses de démembrement sont mal rédigées.
La vente d’un bien immobilier détenu en démembrement, suivie de la mise en quasi-usufruit du prix, pose les mêmes problèmes que pour les titres de société.
Il convient donc d’être encore plus rigoureux dans les schémas immobiliers.
🎯 10. Synthèse : ce qu’il faut retenir pour sécuriser vos opérations
À faire | Pourquoi |
Réévaluer les donations passées | Certaines peuvent être redressées fiscalement |
Adapter vos futurs montages | Éviter les schémas devenus risqués |
Documenter précisément chaque étape | En cas de contrôle, c’est votre meilleure défense |
Diversifier les outils patrimoniaux | Ne plus dépendre uniquement du quasi-usufruit |
Travailler en interprofessionnalité | Pour sécuriser juridiquement et fiscalement |
🔚 Conclusion : vigilance, pédagogie et adaptation
La suppression de la déductibilité de la créance de restitution dans certains montages bouleverse les pratiques établies.
Le quasi-usufruit sur le prix de cession n’est plus une voie royale vers une transmission optimisée.
Mais ce changement offre aussi l’opportunité de repenser la stratégie patrimoniale, avec plus de rigueur, de transparence et de diversité d’outils.
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