Le dirigeant propriétaire dispose de 3 principales filières pour constituer son épargne longue : l’épargne privée, l’épargne retraite et l’épargne à l’impôt sur les sociétés.
L’épargne privée est financée par le revenu professionnel net de tous prélèvements sociaux et fiscaux. C’est dès lors la solution dont le coût de fabrication est le plus élevé. Mais également celle qui offre le plus de liberté et expose le moins aux prélèvements différés. Pour cette filière, nous avons retenu comme véhicule de capitalisation un contrat d’assurance-vie.
L’épargne retraite permet de bénéficier de la déduction fiscale des cotisations, tout en préservant, depuis l’instauration du Plan d’Épargne Retraite, la sortie en capital. Elle bénéficie ainsi d’un levier d’investissement qui peut être très significatif. Mais il s’agit d’une épargne bloquée, avec une fiscalité latente très lourde. Pour cette filière, nous avons retenu comme véhicule de capitalisation un PER 154 bis dit « Madelin », via un contrat d’assurance et non un compte-titres, souscrit donc par un dirigeant non salarié. Étant rappelé que l’identité du payeur de prime, l’entreprise ou le dirigeant, est absolument sans incidence, ni sociale ni fiscale.
L’épargne à l’impôt sur les sociétés consiste à épargner au sein d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés. Aucun prélèvement social ou fiscal au niveau de la personne privée, mais un impôt société à acquitter au niveau de la personne morale. Et bien sûr, le coût de sortie : impôt de distribution ou impôt de plus-value, selon la solution retenue. Pour cette filière, nous avons retenu une Holding Patrimoniale Passive, constituée par apport de titres de la société opérationnelle, une SARL. Afin de rester compréhensible, et pour éviter un sujet dont la richesse technique outrepasse largement le périmètre de cet article, nos calculs restent basés sur une holding n’ayant pas fait l’objet d’une anticipation patrimoniale complète, par exemple en combinant un pacte fiscal Dutreil, une donation et une réduction de capital.
I. Les avantages et inconvénients comparés des 3 véhicules
| Effet de levier social et/ou fiscal | Disponibilité de l’épargne | Taxation des retraits | Taxation en cas de décès |
Assurance vie | Aucun effet levier. Il faut d’abord subir les cotisations sociales, la CSG, la CRDS, l’impôt sur le revenu, voire la CEHR, avant de pouvoir épargner le solde. | L’épargne est disponible à tout moment. | Pas de nouvelle taxation du capital récupéré. Les gains subissent les prélèvements sociaux de 17,20 % et une imposition variant entre 7,50% et 12,80% + CEHR, après application d’un abattement annuel de 4 600€ (célibataire) ou 9 200€ (couple), quand le contrat a plus de 8 ans. | Les prélèvements sociaux de 17,20% sont prélevés sur les produits du contrat. Puis, en cas de versements avant 70 ans, régime du 990i du CGI, soit, par bénéficiaire : – Abattement de 152 500 €. – Taxation de 20% pour les 700 000€ suivants. Taxation de 31,25% après 852 500€. |
Plan d’épargne retraite 154bis | Pas d’effet de levier social : les cotisations ne sont déductibles ni de l’assiette des charges sociales ni de l’assiette de la CSG et de la CRDS. En revanche les cotisations sont déductibles fiscalement, avec un plafond. Ce plafond est atteint lorsque le revenu professionnel est supérieur ou égal à 329 088€, en 2022. La limite de déduction est alors de 76 102€. | L’épargne n’est disponible qu’au moment du départ à la retraite. Par exception, l’acquisition de la résidence principale permet la disponibilité de l’épargne avant l’âge du départ en retraite. L’article 224-4 du Code monétaire et financier prévoit également des retraits en cas d’accident de la vie (décès du conjoint, surendettement, invalidité, …). | La fraction du retrait représentative des primes ayant été déduites fiscalement est imposée, au barème progressif de l’impôt sur le revenu + CEHR, pour les retraits après le départ à la retraite ou en cas d’acquisition de la résidence principale. Les gains subissent les prélèvements sociaux de 17,20 % et une imposition de 12,80%. Les retraits « accidents de la vie » ne subissent que les 17,20%. | Le régime fiscal dépend de l’âge au moment du décès et non du versement. En cas de décès avant 70 ans, c’est le régime du 990i du CGI susvisé qui s’applique. Après 70 ans, le capital est imposé normalement dans la succession. Pas de prélèvements sociaux de 17,20% sur les produits, étonnamment. Cet évitement exceptionnel d’une taxation à vocation pourtant universelle sera-t-il pérenne ? |
Holding patrimoniale passive | L’épargne est encapsulée au sein de la société soumise à l’impôt sur les sociétés, sans cotisations sociales ou fiscales personnelles. Mais l’IS aura été payé, dans la filiale puis la holding. | L’épargne est disponible à tout moment, via une distribution, une vente ou une réduction de capital. | Imposition de 12,80% + prélèvements sociaux de 17,20% + éventuellement CEHR au taux maximum de 4 %. | Droits de mutation à titre gratuit, sans régime particulier, à défaut d’anticipation de la transmission. |
II. Schéma de synthèse qui servira aux deux études de cas
III. Les hypothèses retenues pour les deux études de cas
Données communes aux 2 études de cas :
Le dirigeant est marié avec deux enfants à charge.
Il est âgé de 46 ans et prévoit de partir à la retraite à 66 ans.
Il perçoit une rémunération de gérant majoritaire, versée par la SARL opérationnelle de son groupe.
Il n’existe pas d’autre revenu dans le foyer fiscal.
Les calculs de cotisations sociales n’intègrent pas de couvertures supra légales de prévoyance et de frais de santé.
Une fois le besoin de train de vie financé, l’excédent de richesse disponible est épargné sur une période longue, 20 ans, avec deux hypothèses de rendement des investissements, 2 % et 5%.
Nous considérons que les enveloppes seront intégralement vidées en 4 ans, après le départ en retraite. Cette durée de 4 ans, permet de répliquer les effets d’un recours au système du quotient pour les revenus exceptionnels et permet de sécuriser le bénéfice du 990i en cas de décès, pour le PER.
À la retraite, la fraction imposable au barème progressif des retraits du PER subit un impôt de 30%.
Le dirigeant a désigné ses deux enfants par parts égales en tant que bénéficiaires du contrat d’assurance-vie ou du PER assurantiel 154bis.
Il a désigné ses enfants légataires des titres de la société holding avec des DMTG qui seraient de 30%, compte tenu des autres éléments du patrimoine.
Le coût de la transmission est calculé dans l’hypothèse d’un décès intervenant juste après le départ à la retraite, à 66 ans.
Données spécifiques à l’étude de cas 1 :
La richesse brute que le dirigeant peut prélever dans la SARL opérationnelle s’élève à 200 000 €.
Cette richesse doit d’abord financer son besoin de train de vie annuel, 100 000€, nets de tous prélèvements.
Etude de cas 2 :
La richesse brute que le dirigeant peut prélever dans la SARL opérationnelle s’élève à 300 000 €.
Cette richesse doit d’abord financer son besoin de train de vie annuel, 150 000€, nets de tous prélèvements.
IV. Les résultats des deux études de cas
| Etude de cas 1 avec un rendement de 2% | Etude de cas 1 avec un rendement de 5% | Etude de cas 2 avec un rendement de 2% | Etude de cas 2 avec un rendement de 5% |
Richesse disponible dans la SARL (1) | 200 000 | 200 000 | 300 000 | 300 000 |
Dont nécessaire au train de vie (2) | 162 743 | 162 743 | 263 029 | 263 029 |
Reste un budget brut d’épargne (3) | 37 257 | 37 257 | 36 971 | 36 971 |
Épargne nette en assurance-vie (4) | 19 714 | 19 714 | 17 522 | 17 522 |
Épargne nette en PER 154 bis (5) | 28 328 | 28 328 | 30 396 | 30 396 |
Épargne nette dans holding (6) | 27 733 | 27 733 | 27 520 | 27 520 |
Retrait net assurance-vie (7) | 458 293 | 579 298 | 407 859 | 515 410 |
Retrait net PER 154bis (7) | 481 807 | 655 685 | 516 980 | 703 551 |
Retrait net holding (7) | 457 850 | 593 313 | 454 334 | 588 756 |
Transmission nette assurance-vie (8) | 432 541 | 547 046 | 391 230 | 493 003 |
Transmission nette PER 154bis (8) | 611 637 | 810 354 | 651 834 | 865 058 |
Transmission nette holding (8) | 457 850 | 593 313 | 454 334 | 588 756 |
(1) Budget devant revenir au dirigeant pour financer son train de vie puis être épargné, pour le solde.
(2)Budget consommé pour financer le train de vie.
(3) Solde brut à épargner : (1) – (2).
(4) Solde brut – charges sociales – CSG et CRDS – impôt sur le revenu.
(5) Solde brut – charges sociales – CSG et CRDS
(6) Solde brut – impôt sur les sociétés, d’abord au niveau de la société opérationnelle, puis au niveau de la holding (en régime mère-fille).
(7) Somme des retraits nets, la totalité de l’épargne étant appréhendée en 4 ans, selon nos hypothèses de travail.
(8) Transmission nette aux deux enfants du dirigeant.
V. Synthèse graphique
La comparaison entre les trois filières d’épargne longue – et plus encore leur combinaison optimisée – procède d’un jeu d’hypothèses fourni, qui s’accommode mal des solutions « clés en main » et trop simplifiées.
Pour autant, nous prenons le risque de présenter une grille de raisonnement dont l’expérience nous a démontré la robustesse, sans remplacer le modèle financier complet et personnalisé qui s’imposera pour les patrimoines importants :
1.Préserver la disponibilité suffisante de l’épargne.
C’est évidemment la première contrainte à respecter.
Si l’épargne doit rester disponible, le PER devient hors sujet.
Dans ce cas, il faut prévoir deux blocs :
L’épargne privée tant que le taux marginal d’imposition n’excède pas 30 %.
L’encapsulement dans la holding dès que l’imposition atteint 41%.
2.Bénéficier à plein de l’effet levier du PER.
En fait, le plus important effet levier du PER c’est le taux de capitalisation de l’impôt reporté, plus que le différentiel entre un taux moyen marginal d’imposition de 30,41% (étude de cas 1) et 42,35% (étude de cas 2).
Aussi, c’est au sein du PER qu’il faut loger prioritairement ses investissements à haute perspective de rendement, et donc supportant le risque maximal, ce qui exige une durée d’investissement longue.
3.Intégrer un paradoxe
Le PER est actuellement sans doute le meilleur outil pour protéger un conjoint : les cotisations sont déductibles, pas de prélèvements sociaux sur les produits au moment du décès et pas de taxation pour le conjoint, peu important le franchissement ou non du seuil des 70 ans.
Il vaut mieux prélever son complément de retraite sur l’assurance-vie et flécher la poche PER vers l’objectif protection du conjoint. Pas totalement intuitif !
4.Exploiter les stratégies permises par l’existence de la société holding.
Il ne suffit pas de créer une holding pour rendre sa stratégie d’épargne longue efficiente.
Se contenter de capitaliser des excédents au sein de la holding sera au mieux relativement neutre, au pire très défavorable si la fiscalité patrimoniale devait augmenter. Rappelons que nous sommes en basses eaux de l’impôt de distribution (30 % aujourd’hui contre 40,21 % en décembre 2017).
C’est pourquoi la constitution d’une holding doit impérativement être accompagnée d’une stratégie de long terme – civile, sociétaire et fiscale – permettant d’appréhender des liquidités et de transmettre dans de bonnes conditions.
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