Fraudes CumCum : Comprendre la réforme fiscale de 2025 et ses implications pour les investisseurs
- David Sanglier
- il y a 2 jours
- 6 min de lecture
Depuis plusieurs années, les autorités fiscales françaises se heurtent à des mécanismes complexes d’optimisation fiscale internationale, qui permettent à certains investisseurs étrangers d’échapper à l’imposition sur les dividendes.
Parmi ces schémas, le plus emblématique reste le dispositif CumCum.
En apparence légal, il repose sur des transferts temporaires de titres autour de la date de versement des dividendes, souvent réalisés dans un seul objectif : échapper à la retenue à la source prévue pour les non-résidents.
Face à ces pratiques, la loi de finances pour 2025 marque un tournant majeur.
L’État français modifie en profondeur le cadre juridique applicable aux distributions de dividendes vers les non-résidents.
Si vous êtes concerné par des flux de dividendes entre la France et l’étranger – en tant qu’investisseur individuel, actionnaire, ou dirigeant de société avec des liens internationaux – cette réforme vous concerne directement.
Le schéma CumCum : un mécanisme d’arbitrage fiscal
À l’origine, la retenue à la source sur les dividendes versés par des sociétés françaises aux non-résidents vise à assurer une certaine équité fiscale.
Lorsqu’un résident fiscal étranger perçoit un revenu de source française, la France prélève, sauf exceptions prévues par les conventions fiscales, une retenue forfaitaire, souvent de 12,8 % à 30 %, avant de verser le dividende net.
Pour contourner cette retenue, certains investisseurs ont développé des stratégies d’arbitrage appelées CumCum.
Le fonctionnement est assez simple dans son principe, mais redoutablement efficace :
L’investisseur non-résident transfère temporairement ses titres à une banque française ou à une entité résidente en France, juste avant la date de détachement du dividende.
L’intermédiaire résident perçoit le dividende à la place de l’investisseur étranger. En tant que résident fiscal français, il n’est pas soumis à la retenue à la source.
L’intermédiaire reverse ensuite le produit au véritable investisseur, déduction faite d’une commission, et récupère au passage un avantage fiscal.
Une fois le dividende versé, les titres sont restitués au propriétaire initial.
Ce montage permet à l’investisseur étranger de conserver la majorité du dividende sans imposition, et à l’intermédiaire d’empocher une commission.
En somme, tout le monde y gagne – sauf le fisc.
Des pertes fiscales massives et une tolérance remise en cause
Le dispositif CumCum, bien que connu depuis des années, a longtemps bénéficié d’une zone grise réglementaire.
Aucun texte n’interdisait formellement ce type d’opération, et l’administration fiscale avait peu de moyens d’y faire obstacle, surtout lorsque les transferts de titres s’effectuaient sur des marchés réglementés.
Mais avec le temps, la situation a suscité une forte indignation politique.
Des enquêtes journalistiques internationales, comme les CumEx Files, ont révélé l’ampleur du phénomène à l’échelle européenne, avec des montants estimés à plus de 140 milliards d’euros de pertes fiscales.
En France, les pratiques CumCum auraient coûté environ 3 milliards d’euros par an au Trésor public, selon les chiffres avancés par certains parlementaires.
Ces révélations ont poussé le gouvernement et le législateur à agir.
La loi de finances pour 2019 avait amorcé un premier encadrement des schémas d’arbitrage de dividendes.
Mais c’est la loi de finances pour 2025, et plus précisément son article 96, qui marque une refonte profonde de la fiscalité applicable aux dividendes perçus par les non-résidents.
L’introduction de la notion de « bénéficiaire effectif »
Le cœur de la réforme repose sur une notion juridique centrale : celle de bénéficiaire effectif.
Jusqu’à présent, la retenue à la source s’appliquait au bénéficiaire apparent du revenu, c’est-à-dire à la personne ou entité qui percevait formellement les dividendes.
Ce mode de raisonnement permettait de contourner la règle par des transferts temporaires, dès lors qu’un résident français apparaissait en tant que percepteur officiel du dividende.
Désormais, la loi consacre la notion de bénéficiaire effectif.
Autrement dit, la personne imposable est celle qui tire réellement avantage du revenu, peu importe qu’un tiers ait perçu le dividende à sa place.
Ce changement a des conséquences considérables.
Il permet à l’administration fiscale de reconstituer la réalité économique d’une opération, même si, sur le plan formel, le dividende a transité par une entité résidente.
Cela rend inopérants les montages de façade qui n’ont d’autre but que d’éviter l’impôt.
Concrètement, si vous êtes un investisseur non-résident, et que vous percevez indirectement des dividendes français via un prête-nom ou un montage temporaire, vous serez désormais considéré comme redevable de la retenue à la source, sauf preuve contraire.
La retenue à la source conservatoire : une mesure de précaution fiscale
Un second volet important de la réforme réside dans l’instauration d’une retenue à la source conservatoire.
Elle concerne spécifiquement les situations dans lesquelles l’investisseur non-résident réside dans un pays bénéficiant d’une convention fiscale exonératoire avec la France.
Jusqu’à présent, dans de tels cas, l’administration ne pouvait pas appliquer de retenue à la source si la convention fiscale interdisait une telle retenue.
Mais ces situations étaient facilement manipulables par les montages CumCum.
Désormais, l’administration fiscale française est autorisée à appliquer automatiquement une retenue conservatoire, même en présence d’une convention d’exonération.
L’investisseur devra ensuite effectuer une demande de remboursement, à condition de remplir deux critères cumulatifs :
Être en mesure de prouver qu’il est bien le bénéficiaire effectif des revenus perçus ;
Démontrer que l’opération a un objet économique réel, et non exclusivement fiscal.
Autrement dit, la charge de la preuve est inversée : ce n’est plus au fisc de démontrer le caractère abusif d’un montage, mais à l’investisseur de justifier la légitimité économique de l’opération.
Cette mesure s’appliquera de façon généralisée à partir du 1er janvier 2026.
Qu’est-ce qu’un « objet économique réel » ?
L’administration ne remet pas en cause toute opération internationale.
Ce qu’elle vise, ce sont les schémas artificiels, construits dans le seul but d’obtenir un avantage fiscal.
Un objet économique réel peut être reconnu lorsqu’il existe :
Un intérêt stratégique ou commercial au transfert de titres ou à leur détention par une entité donnée ;
Une logique de gestion patrimoniale cohérente sur le long terme ;
Un risque économique réel supporté par le bénéficiaire ;
Ou encore une intégration économique dans un groupe d’entreprises.
En revanche, un montage consistant à prêter ou céder temporairement des actions quelques jours avant le détachement du dividende, puis à les restituer après paiement, sans justification économique, sera considéré comme abusif.
Comment l’administration détecte-t-elle les montages CumCum ?
La réforme fiscale s’accompagne d’un renforcement des obligations déclaratives pour les établissements payeurs (banques, teneurs de comptes, etc.).
Ces derniers doivent désormais déclarer les opérations de détention temporaire de titres, ainsi que l’identité du bénéficiaire effectif lorsque celle-ci est connue.
Les échanges d’informations entre États, dans le cadre de la coopération fiscale internationale (OCDE, Directive DAC6), permettent également à l’administration française de repérer les flux suspects.
Par ailleurs, les opérations sur titres sont tracées électroniquement.
Des transferts récurrents, à des dates proches du versement des dividendes, peuvent être facilement identifiés et déclencher un contrôle fiscal ciblé.
Que faire si vous êtes concerné par ce nouveau cadre ?
En tant qu’investisseur ou actionnaire non-résident, vous devez désormais anticiper les implications fiscales de vos opérations sur titres français.
Voici quelques points essentiels à retenir :
Évitez les montages temporaires qui n’ont d’autre but que de réduire l’impôt à la source. Même s’ils étaient tolérés auparavant, ils sont désormais exposés à une requalification immédiate.
Soyez en mesure de documenter l’objet économique de vos opérations. Conservez les contrats, courriers, analyses financières, ou tout élément pouvant justifier votre stratégie.
Vérifiez votre statut de bénéficiaire effectif. Si vous agissez via une entité intermédiaire, assurez-vous que vous pouvez démontrer que cette entité est transparente ou vous représente réellement.
Préparez-vous à subir une retenue conservatoire même en cas d’exonération théorique par convention fiscale. Ce prélèvement pourra être remboursé, mais uniquement si vous fournissez les justificatifs requis.
Travaillez avec des conseillers fiscaux compétents, capables d’anticiper les évolutions réglementaires et d’identifier les risques de requalification.
Les implications au niveau européen et international
La réforme française s’inscrit dans une tendance globale.
D’autres pays ont également renforcé leur législation pour lutter contre l’arbitrage de dividendes :
L’Allemagne, depuis 2012, applique des règles strictes interdisant les montages CumCum.
Le Danemark a lancé une vague de poursuites pénales contre plusieurs institutions financières impliquées dans ces pratiques.
Les États-Unis ont adopté des mesures similaires dès 2010, en étendant la retenue à la source aux produits dérivés.
La coopération entre administrations fiscales est de plus en plus structurée.
L’échange automatique d’informations permet désormais d’avoir une vue d’ensemble des flux financiers entre les juridictions.
Les investisseurs doivent donc s’attendre à une harmonisation progressive des règles dans les années à venir.
Ce qui est désormais interdit en France ne sera plus possible ailleurs non plus.
Vers un nouveau paradigme de transparence fiscale
La réforme de 2025 ne vise pas à pénaliser les investisseurs étrangers honnêtes.
Elle a pour objectif de restaurer l’équilibre fiscal, en s’assurant que chaque contribuable contribue à hauteur de sa capacité réelle, et selon une logique équitable.
Les schémas de type CumCum appartiennent à une époque où les législations nationales étaient désynchronisées, créant des failles exploitées par certains acteurs.
Aujourd’hui, l’administration fiscale dispose d’outils techniques et juridiques plus puissants pour détecter et sanctionner ces pratiques.
Cela signifie que la transparence fiscale devient la norme.
Toute opération complexe doit désormais pouvoir être justifiée sur un plan économique. Les montages sans substance sont voués à disparaître.
En conclusion
La loi de finances pour 2025 change profondément la donne pour les non-résidents percevant des dividendes de source française.
En intégrant la notion de bénéficiaire effectif et en instaurant une retenue à la source conservatoire, le législateur met fin à une large part des pratiques d’optimisation fiscale agressive.
Si vous êtes concerné par ces flux, il est impératif de repenser votre stratégie patrimoniale ou d’investissement, en intégrant les nouvelles obligations fiscales.
Cela ne signifie pas que toute structuration internationale est interdite, mais que celle-ci doit désormais s’appuyer sur une logique économique solide, traçable et transparente.
Les temps changent.
Et dans ce nouveau paysage fiscal, l’anticipation, la preuve et la légitimité économique sont vos meilleurs alliés.
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