Le PLFSS pour 2021 propose un nouveau rebondissement dans le feuilleton des critères d’assujettissement des loueurs en meublé aux cotisations sociales. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 prévoit d’aménager les critères d’assujettissement aux cotisations sociales des revenus de la location meublée, près de 3 ans après la décision du Conseil constitutionnel ayant déclaré contraire à la Constitution le critère d’inscription au Registre du commerce et des sociétés (RCS) (Cons. const. 8-2-2018 n° 2017-689 QPC).
Un contexte juridique mouvementé
La conséquence d’un traitement administratif détaché de la nature juridique La location meublée fait l’objet d’un traitement par le droit administratif pour le moins torturé.
Cette activité est juridiquement civile, qualification confirmée par la Cour de cassation sans discontinuité depuis 1862.
Malgré cette nature civile, elle s’est vue rangée fiscalement dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux depuis une jurisprudence du Conseil d’Etat de 1925. Une franche et célèbre illustration de l’autonomie du droit fiscal.
Voilà l’origine d’un casse-tête fiscal, mais aussi, par effet tâche d’huile, social, pour les loueurs n’exerçant pas sous forme sociétaire.
Certains loueurs, réalisant une activité civile et donc en principe non inscrits au RCS, peuvent ainsi se voir assujettis aux cotisations sociales de commerçants.
Le loueur ne remplissant pas les critères d’assujettissement est soumis aux prélèvements sociaux comme pour un revenu du patrimoine ordinaire.
Les critères de distinction entre un loueur professionnel ou non professionnel au regard du droit fiscal, ou une activité de location assujettie aux cotisations sociales ou non ont la plupart du temps été différents.
Si en droit fiscal on constate une certaine stabilité des critères (une réforme majeure avec la loi de finances pour 2009), en droit social on pourra compter 6 régimes différents en à peine plus d’une décennie !
Qualification sociale précédant la QPC La location de courte durée prenant de l’ampleur et offrant une rentabilité importante, le législateur a étendu à compter des revenus 2017, le champ de l’assujettissement aux cotisations sociales (Loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 ; CSS art. L 611-1, 6e) .
La qualification sociale n’était désormais plus calquée sur la qualification fiscale comme depuis les revenus 2012 (BOFiP-impôts BOI-BIC-CHAMP-40-10 n°40 : « Les critères retenus par le droit fiscal pour caractériser l'exercice à titre professionnel d'une activité de location en meublé peuvent différer de ceux retenus par le droit social. »), malgré des renvois exprès à certains critères nécessaires à cette qualification.
Les situations considérées comme entraînant un assujettissement social étaient les suivantes : - les loueurs de courte durée dont les recettes sont d’au moins 23 000 € (au sens du statut fiscal des loueurs de meublé professionnels (LMP), appréciation au niveau du foyer fiscal en TTC, avec le cas échéant des proratas en cas d’activité débutant ou cessant en cours d’année…) ; - les loueurs dont le niveau de recettes locatives est d’au moins 23 000 € annuels comme ci-dessus et inscrits au RCS (2 conditions des 3 nécessaires à la qualification de LMP).
Le critère de la prépondérance des recettes locatives par rapport aux revenus professionnels, lui aussi analysé au niveau du foyer fiscal, nécessaire à la qualification de LMP à l’impôt sur le revenu, était donc totalement absent.
Cette situation faisait que l’on pouvait être non professionnel au sens de l’impôt sur le revenu mais considéré comme réalisant une activité professionnelle assujettie aux cotisations sociales.
L’administration sociale ne commenta pas cette modification, laissant en suspens nombre de questions : par exemple, un LMNP non inscrit au RCS assujetti aux cotisations sociales l’est-il sur son résultat issu des seules locations de courte durée ou sur son résultat d’ensemble (issu des recettes de location courte et longue durée) ? Et laissant donc des agents administratifs, loueurs et leurs conseils dans l’expectative.
En pratique, le LMNP réalisant des locations de courte durée ne s’inscrit pas au RCS, en réalisant seulement une déclaration de début d’activité fiscale via le formulaire P0i (et non le formulaire P0CMB). De fait, l’administration sociale ne dispose pas de l’information nécessaire à la connaissance de l’assuré car toute la chaine de l’information actuelle s’appuie sur l’inscription au RCS.
Et lorsque des LMNP ont réalisé les démarches nécessaires au versement des cotisations sociales, les services ont rejeté l’assujettissement, leur système informatique requérant une inscription au RCS.
La règle de droit s’est alors retrouvée inappliquée sur le terrain dans les cas où le loueur n’était pas inscrit au RCS.
La décision du Conseil constitutionnel Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a déclaré contraire à la Constitution et abrogé la condition d’inscription au RCS exigée dans le Code général des impôts (CGI) pour être qualifié de LMP au sens de l’impôt sur le revenu (Cons. const. 8-2-2018 n° 2017-689 QPC). Nous avions relevé, outre les conséquences fiscales de cette décision, ses conséquences sur les critères d’assujettissement aux cotisations sociales et l’absence de commentaires administratifs à ce sujet.
Depuis, le CSS renvoyait à des dispositions du CGI inapplicables et, après la suppression de la condition litigieuse dans le CGI par la loi de finances pour 2020, disparues…
La lecture de la loi amputée de la conditions d’inscription au RCS entrainait plusieurs interprétations.
Une première, considérant que la suppression de la condition d’inscription au RCS limitait aux seules locations de courte durée l’assujettissement aux cotisations sociales.
Une seconde, considérant que cette même suppression élargissait le champ de l’assujettissement à tout loueur en meublé réalisant au moins 23 000 € de recettes.
Nous partagions cette dernière analyse en raison de plusieurs éléments.
Il serait remarquable que les effets de la suppression du critère d’inscription au RCS soient de rendre la qualification de LMP plus large au regard de l’impôt sur le revenu et plus restreinte au regard de l’assujettissement aux cotisations sociales.
Par ailleurs, considérer comme assujetti un LMNP réalisant 23 000 € de recettes en courte durée mais plus un LMP jusqu’alors assujetti depuis des décennies et le cas échéant réalisant des centaines de milliers d’euros de recettes de locations longue durée nous semblait assez incohérent. Notamment si l’on retient la volonté de la réforme de 2017 d’élargir le champ d’assujettissement au-delà des seuls LMP.
Nous conseillions souvent le recours à l’exercice de l’activité sous forme sociétaire afin de maîtriser le traitement social de l’activité de location meublée.
La réponse ministérielle Pellois La réponse ministérielle du 10 juillet 2018 relative aux locations de courte durée (Réponse ministérielle n° 3619 Pellois JOAN 10-7-2018) n’a guère apporté de clarté à la question, bien au contraire.
N’évoquant nullement la décision du Conseil constitutionnel rendue quelques mois auparavant, elle avait introduit le critère d’intermédiation d’un agent immobilier dont on aura bien du mal à trouver une source dans la rédaction de la loi. Le recours à un agent immobilier aurait écarté l’assujettissement aux cotisations sociales !
En matière sociale, une réponse ministérielle n’est pas opposable à l’administration, et s’avère donc illusoire en cas de contentieux (CSS art. L 243-6-2 ; Circ. DSS/5C 2006-72 du 21-2-2006).
Que prévoit le PLFSS pour 2021 ? Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, en son article 14, prévoit de modifier la rédaction de l’article L 611-1 du Code de la sécurité sociale.
Le motif exposé est d’« actualise[r] par ailleurs, par cohérence avec l’évolution du droit fiscal, les critères permettant d’avoir accès au dispositif spécifique pour les locations meublées de courte durée, en supprimant le critère d’inscription au registre du commerce et des sociétés. »
Encore une modification des critères d’assujettissement aux cotisations sociales La rédaction retenue fait plus qu’éclaircir les critères d’assujettissement expurgés de l’inscription au RCS depuis la décision du Conseil constitutionnel.
Elle ne choisit ainsi pas une des lectures du texte exposées plus haut, elle modifie une nouvelle fois les critères pour les loueurs en meublé hors loueurs de courte durée.
La rédaction du texte conserve deux situations d’assujettissement : - sans surprise, l’assujettissement des loueurs réalisant au moins 23 000 € de recettes annuelles apprécié selon les critères du LMP au sens de l’impôt sur le revenu en courte durée, non affectée par la disparition du critère d’inscription au RCS. On relèvera l’absence totale à nouveau de référence à l’intervention d’un agent immobilier, ce qui conforte notre position critique au regard de la portée de la réponse ministérielle Pellois ; - et l’assujettissement des loueurs en meublé lorsqu’ils ont le statut de LMP au sens de l’impôt sur le revenu (renvoi à l’article 155,IV-2 du CGI).
Par conséquent, le législateur propose le remplacement du critère d’inscription au RCS par celui de la prépondérance des recettes de location meublée par rapport aux autres revenus professionnels.
La conséquence de ce nouveau périmètre serait de rétablir en partie la relation perdue depuis les revenus 2017 : tout LMP au sens de l’impôt sur le revenu serait assujetti aux cotisations sociales… mais sans pour autant que seuls les LMP soient assujettis (les LMNP courte durée dont les recettes sont d’au moins 23 000 € par an étant eux aussi assujettis).
Ce choix de s’aligner sur la définition fiscale est-il influencé par la mise en place de la déclaration sociale automatique dès les revenus 2020 en ce qui concerne les entrepreneurs individuels ?
En effet, l’article L 613-2, I du Code de la sécurité sociale, dans sa rédaction à venir à compter du 1er janvier 2021, prévoit que « Les organismes de sécurité sociale [ …] reçoivent de l'administration fiscale à leur demande, ou à celle du travailleur indépendant lui-même, les informations nominatives nécessaires au calcul des cotisations et contributions. »
L’alignement sur la qualification fiscale pourrait être ainsi opportune, sans que l’on ne dispose à notre connaissance d’éléments en ce sens, et pallier l’absence d’inscription au RCS informant l’administration sociale.
Le texte issu du projet de loi prévoit un décret d’application à paraître.
Loueurs en meublé hors courte durée : critères d’assujettissement
Le projet de loi ne prévoit pas dans sa version initiale de disposition expresse permettant de déterminer les critères d’assujettissement des revenus des années antérieures qui, à ce jour, ne sont pas prescrites.
Nous serons vigilants, si le texte de loi n’est pas enrichi sur ce point, aux documents parlementaires qui pourraient nous éclairer au cours de cette fin d’année.
A défaut, on peut espérer d’éventuels commentaires administratifs postérieurs à la publication de la loi, bien que l’administration en ait fait une économie très dommageable à la sécurité juridique depuis 10 ans malgré de nombreuses et successives modifications législatives.
Des critères répréhensibles ? On rappellera la source de l’agitation de ces 3 dernières années en matière de location meublée dont nous envisageons seulement l’apaisement : la décision du Conseil constitutionnel faisant suite à une question prioritaire de constitutionnalité. L’annulation du critère de l’inscription au RCS fut basée sur une rupture d’égalité non justifiée par des critères objectifs.
L’assujettissement personnel aux cotisations sociales d’une activité économique est, depuis 2012, appréciée en référence à la définition fiscale au regard de l’impôt sur le revenu du LMP, c’est-à-dire au regard de sa situation familiale, voire du choix de rattachement d’enfants majeurs, de l’activité de location meublée et/ou des revenus professionnels des membres du foyer fiscal et donc notamment de son conjoint ou partenaire de Pacs.
Si, comme l’a considéré le Conseil constitutionnel, le critère de l’inscription au RCS d’un contribuable réalisant une activité civile n’avait aucun sens, quel est l’objectivité d’un critère dépendant de son conjoint pour qualifier le traitement en termes de protection sociale d’une activité ?
Cette question sera peut-être soumise au Conseil constitutionnel…
Le cas particulier des frontaliers et des non-résidents européens Certains non-résidents et les frontaliers ont pu voir leur traitement significativement amélioré depuis les revenus 2018.
En effet, à la suite d’un long contentieux, le législateur a pris acte de l’exonération de prélèvements sociaux des personnes relevant d’un régime de la sécurité sociale au sein de l’EEE ou de la Suisse à condition de ne pas être à la charge d’un régime obligatoire de sécurité sociale français. (Loi 2018-1203 du 22-12-2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019, art. 26).
Ils se sont retrouvés seulement soumis au prélèvement de solidarité de 7,5 %, notamment sur leurs revenus du patrimoine issus de biens immobiliers et donc leurs revenus de location meublée.
Mais lorsque l’activité réalisée sur le territoire français est considérée comme professionnelle au sens social, ce sont les cotisations sociales qui sont appelées et non des prélèvements sociaux.
Jusqu’aux revenus 2017, pour des locations hors courte durée, l’absence d’inscription au RCS permettait d’échapper à ces cotisations sociales.
Mais depuis, les non-résidents se retrouvent dans la large majorité des cas qualifiés de professionnels dès lors qu’ils atteignent le seuil de 23 000 € de recettes TTC. En effet, l’administration considère, pour l’appréciation de la prépondérance de recettes de locations meublées par rapport aux autres revenus professionnels, que l’on compare ces recettes avec les seuls revenus professionnels issus d’activités de source française (BOFiP-impôts BOI-BIC-CHAMP-40-10 n°165). Un trader londonien se voit ainsi considéré comme loueur en meublé professionnel pour une villa ou un chalet loué à l’année en France s’il dépasse 23 000 € de recettes.
A compter des revenus 2021, de façon certaine, l’absence d’inscription au RCS ne permettrait pas d’échapper, selon le droit interne, aux cotisations sociales dont le taux apparait notamment très fortement supérieur à celui de 7,5 %.
Le règlement européen de 2004 (Règlement CE 883/2004, art. 11 ; https://www.cleiss.fr/reglements/883_legislation_applicable.html) pourrait-il être d’un secours précieux, et ce y compris pour les locations de courte durée ? Cette règle permettrait d’échapper aux cotisations sociales lorsque les loueurs, dans l’Union européenne ou en Suisse : - réalisent une activité salariée, - ou développent une activité non salariée significative.
Mais la location meublée n’étant pas considérée dans tous les Etats comme une activité professionnelle, et le cas échéant avec des critères divergents, dans de nombreuses situations cette règlementation risque de ne pas être applicable.
On aura alors encore une fois recours à la société pour maitriser la qualification sociale en échappant à l’assujettissement selon le droit interne français.
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